De Mar Vivo à Fabrégas
Quand on veut bien prendre le temps de prendre son temps,il est envisageable de ne pas faire demi-tour à Mar-Vivo, au bout de la plage des Sablettes.
Le paysage n’est plus le même mais il ne manque pas d’attrait. Bien au contraire ! Fi du sable qui s’insinue entre les orteils et qui s’invite au moindre courant d’air dans la nourriture ! En quelques mètres, nous changeons d’environnement, presque de planète.
Pour mener à bien ce périple parmi les rochers, il est toutefois indispensable que Dame la mer soit consentante.
Le moindre train de houle d’Est risque de métamorphoser
les chaussures en des éponges détrempées et les gros galets de grès rouge en de somptueuses patinettes.Une zone étroite suit l’extrémité de la plage de Mar Vivo. Pour des raisons assez difficiles à définir, quelques décimètres de fil de fer barbelé voudraient empêcher les évasions vers ce monde plus sauvage. Un promontoire, vestige d’un magnifique blockhaus édifié par les allemands surplombe toujours l’onde alors que les petits récifs de l’Esteou, un peu plus au large, se targuent d’être l’ultime réserve de vie de la côte rocheuse.
En effet, à partir de cet endroit, le beau sable blanc des Sablettes n’a plus vraiment l’autorisation de rejoindre le rivage. Nous pénétrons dans le domaine des galets !
Le mur de clôture du château de Mar Vivo (construit vers 1896, dans un style asiatique, par Lucien Gassier) couronne la colline et prend le relais des restes des installations militaires. Une grosse partie de cet ancien domaine a été loti et se nomme désormais Le Hameau de Marvivo.
Le bord de la mer est composé d’un amalgame de galets arrondis (les coudoules) et de nombreux débris des constructions d’avant guerre qui par gravité et certainement par un hasard fortuit sont venues s’échouer sur la côte.
Quelques portails consentent un accès à la mer aux villas riveraines et quelques vieux bateaux y finissent leurs jours face au large, à l’abri de ces clôtures. Des construction anarchiques, laissées probablement en suspens à cause de permis de construire inexistant, agonisent tranquillement au bas de ces propriétés.
Des zones plus ou moins toilettées par les vagues d’Est autorisent aussi bien la baignade que le séjour parmi ces imposantes masses rocheuses. Les figuiers de Barbarie, les aloès, les griffes de sorcières et toute la foule des plantes grasses du bord de mer, investissent l’espace en instaurant des touches colorées sur le flanc des escarpements.
Un passage existe pourtant, à partir des restes arasés du blockhaus, mais il a été fermé et dûment cadenassé. Il permettait de longer les propriétés riveraines, entre deux murets, avant de regagner la grève, évitant une cinquantaine de mètres souvent investis par la mer.
La côte continue son périple parmi une débauche de blocs de grès dans lesquels il est possible de réaliser des pêches au zigou-zigou fantastiques.
Bien à l’abri dans un léger repli du rivage, le « trou de madame Sénès » étale sa minuscule gravette lustrée par les grosses larguades d’équinoxe.
Personne encore n’a pu fournir une explication plausible pour cette dénomination aussi permettez moi d’imaginer que cette madame Sénès devait être une résidente des alentours et qu’elle avait jeté son dévolu sur cette charmante petite plage.
Cette plagette, plus connue actuellement sous le nom de plage de la Vernette est constituée par une concentration de petits galets où s’enchevêtrent le quartz, le grès et même des fragments de verre que la mer a façonnés pour fabriquer une mosaïque animée multicolore. Un peu comme si l’ambre des plages de la Baltique était venu iriser la mare nostrum. Une cohorte de grand pins permet de supporter les ardeurs du soleil dès le milieu de l’après midi.
Une arête de grès rouge sépare cette plage en deux criques d’inégales grandeurs avant de s’enfoncer sous les flots. La plus grande s’étend sur une cinquantaine de mètres avant que de plus imposants rochers ne lui apportent une superposition de trois blockhaus.
Le trou de madame Sénès est vraiment bien gardé ! Sous la surface, les grandes étendues marines sont occupées par des herbiers de posidonies dans lesquels les oursins et les petits poissons mènent grand train parmi la cohorte anarchique des blocs de grès qui parsèment cette prairie ondoyante.
On peut accéder sur la plage de la Vernette par un chemin piétonnier à partir du boulevard du bord de mer
(actuellement boulevard Henri Villat), une ancienne route de terre qui se détache et qui rejoint plus loin le chemin de Mar Vivo à La Verne.
Souvent des écureuils gratifient les abords de cette plage de vestiges de pignes de pins dûment décortiquées.
Les constructions défensives de cette partie de la côte, surmontées d’un large espace plat, sont bâties sur un amoncellement de blocs de grés. Ces rochers viennent se baigner en pagaille et concourent à aménager de magnifiques failles qui peuvent abriter des congres, des murènes, des poulpes et les innombrables poissons de roches.
C’est la pointe de la Verne que certains cartographes dénomment Pointe de Marvive (pécaïré ! Leur « Marvive » est déjà bien loin derrière nous !).
La débauche de gros cailloux continue sa sarabande jusque dans les profondeurs marines alors que le rivage s’infléchit vers l’Ouest.
De nombreuses casemates semi enterrées parsèment la pinède. Les racines des grands pins d’Alep prennent tout leur temps pour réduire à néant le béton armé de cet espace clôturé.
Une percée de la colline accompagne depuis la plateforme des blockhaus une brigade de pins centenaires qui viennent ombrager le rivage. Ils emprisonnent dans leurs racines les rochers du bord de mer.
Une voie carrossable (sans issue) a été tracée dans ce talweg et vient mourir au dessus de la zone maritime. C’est la continuation du sentier du littoral disparu depuis Mar Vivo.
Une escouade de cales à bateaux s’étire sur la suite du rivage, montrant avec insistance la volonté des hommes à utiliser au mieux la nature.
La moindre saillie pierreuse a été exploitée. De longs assemblages de bois descendent dans les flots, solidement intégrés à la roche à grand renfort de ciment. Ils suivent la ligne de pente et reçoivent des embarcations autochtones, les pountchus (appelés communément pointus).
Ces cales, farouchement restaurées par leurs locataires actuels, permettaient, jusqu’au milieu du XX° siècle, la survivance du « petit métier » sur cette partie du rivage. Les embarcations étaient tirées à sec au retour de la pêche et montaient parfois jusqu’à l’extrémité de la cale (« en terre ») quand les grosses vagues d’Est venaient déferler sur la côte. Un treuil ponctue d’ailleurs le sommet de chacune d’elles et sa rouille salée par les embruns est un témoin notoire de la lutte perpétuelle entre la mer et les hommes.
Le sentier oblique sur la droite et longe le sommet de ces cales, flirtant avec le grillage des propriétés attenantes. Il prend alors le nom martial de « sentier des douaniers », pour déboucher sur la grève de galets avec plus d’assurance.
La plage de La Verne est là, calée entre la mer et les clôtures des propriétés. Un chemin y débouche, longeant les vestiges d’un ruisseau dans lequel quelques cannes de Provence faméliques parviennent encore à se persuader qu’elles existent.
Verne est l’équivalent occitan d’aulne ou aune qui est un arbre adorant le bord des cours d’eau. Plus aucune trace de ce végétal ne se retrouve dans la végétation bordant la plage ou le ruisseau.
Ca n’a nullement empêché les services municipaux de simplifier le problème en apposant une pancarte à l’entrée de ce chemin : Verne = aulne ou roseau. !!!!
Le chemin goudronné, qui finit en cul de sac sur la plage, a été baptisé plus logiquement « chemin du cannier » alors que le ruisseau qui essaye désespérément d’aller se jeter dans la mer se nomme l’Oïde.
Ce terme provençal signifie : Conduit pour recueillir les eaux usées. Effectivement, cet unique fleuve de notre commune, issu de la forêt de Janas, déversait à la mer les eaux noires résiduaires des moulins à huile des Moulières ainsi que les eaux savonneuses des lavoirs du même lieu.
Sur la rive droite de cette embouchure, dans les années 60 se dressait déjà une cabane qui réhydratait les promeneurs et les plaisanciers.
Dans la mer, sous la vigilance du petit îlot du Gabian, se multiplie une quantité de ces petits poissons qui viendront un jour faire le régal des gourmets et des pêcheurs à la ligne.
En continuant notre progression, après une petite centaine de mètres de plage de galets, nous enjambons une première arête rocheuse qui vient s’ébattre dans l’onde. Nous dépassons deux cales isolées avant d’atteindre un plan incliné en béton qui tout l’été fait le bonheur des plaisanciers et des scooters des mers. C’est la mise à l’eau de La Verne, où débouche une voie
carrossable qui contourne une jolie pinède aménagée en terrain de pique-nique tout prés du parking prévu pour les remorques des bateaux.
Une dernière paire de cales sur lesquelles se bronzent deux bettes sépare cette mise à l’eau des temps modernes d’une minuscule plagette de galets qui a été protégée durant un demi siècle par une puissante jetée privée d’une trentaine de mètres de long avec son brise lame perpendiculaire. Cette estacade, construite par le propriétaire de la demeure située juste en face, avait dû bénéficier de nombreux non droits. Après d’abondantes fractures dues aux coups de boutoirs des vagues, elle devint dangereuse et fut finalement démolie dans le début des années 2000. Combien de gamins s’en sont servis de plongeoir, combien de pêcheurs sont venus y caler leurs lignes, combien d’embarcations y ont trouvé un abri temporaire et combien d’idylles y sont nés sous la complicité des étoiles….
Les strates de grès rouge, fatiguées par le vacarme des vagues d’hiver, se sont adaptées à la situation. Elles ont adouci leurs arêtes afin de laisser toute latitude aux vents et jettent dans l’eau leurs carcasses pétrifiés, aménageant entre-elles de petites plages souvent agrémentées par les portails des propriétés limitrophes. Quelques garages à bateaux se dissimulent au bout de leurs plans inclinés en ciment.
Ces langues rocheuses sont autant de havre de paix pour les amateurs de calme et elles peuvent sans effort accueillir de petits bateaux pour peu que la mer les accepte.
Bientôt un escalier permet de remonter entre les propriétés alors qu’une autre batterie de blockhaus vient remplacer dans la pinède les ferronneries des balcons des résidences. C’est la batterie de Fabrégas que certains nomment la batterie des revenants. Elle annonce une anse typique de notre patrimoine local.
Au large de cette avancée émerge un rocher nommé le Frédéric autour duquel tous les petits seynois sont venus taquiner les poulpes, les oursins et parfois des girelles bien différentes des succulents poissons chamarrés du même nom.
Il faut dire que le mocot, poète dans l’âme, a pris la louable habitude de définir par ce terme ces magnifiques naïades qui, l’été venu, investissent le rivage comme autant de petites sirènes d’Andersen.
Le redent rocheux de la côte a permis aux amateurs de pointus d’y nicher une seconde série de cales sur lesquelles, dès les beaux jours revenus, ces embarcations se pavanent entre deux parties de pêche.
Les mistralades n’ont pas la possibilité de lever des vagues et cette anse, exposée au Sud Sud-Est, bénéficie d’une épaisse couche de sable gris noirâtre qui serait doté de vertus médicinales.
Durant la première partie du vingtième siècle, les médecins prescrivaient volontiers à leurs patients des séances d’enfouissement dans le sable de cette plage. Il aurait, paraît-il des effets bénéfiques sur les rhumatismes et les articulations.
Si le sommet de la colline est envahi par d’élégantes demeures qui préservent leur autonomie grâce à d’imposants murs de clôture et une végétation aussi luxuriante que recherchée, le sentier des douaniers, un moment oublié dans la tourmente des blocs de grés revient au premières loges et arpente à nouveau les racines des grands pins.
Il semblerait que nos gabelous détestaient fréquenter ces gros rochers car ce fameux sentier, mystérieusement évaporé après la plage de La Verne, revient à présent flirter avec le bord de la mer. Un mur le guide depuis la batterie des revenants, a travers les grands pins parasols animés par les écureuils et les cigales. Il longe ensuite le dessus des cales avec de nombreux escaliers au ras des murs de clôture. Une rampe métallique lui permet même d’aboutir sur le sable de la plage de Fabrégas.
Alors que les cales des pointus, amoureusement bichonnées par leur propriétaires, reposent sur des assises solides dans les rochers du rivage, leurs assemblages ingénieux, en contact permanent avec leur ennemi intime, la mer, demandent une attention de tous les instants.
Dans l’eau, c’est une étendue de sable qui déferle jusqu’au fond de la baie, recevant la visite intéressée des rougets, des soles, des marbrés et des vives.
De nombreuses théories sont nées au sujet de l’origine du nom de Fabrégas, mais à ce jour aucune ne donne vraiment entière satisfaction.
Sur les vieilles cartes de la région on pouvait fréquemment lire « Faux Brugas » qui signifierait « fausse bruyère », espèce formellement inconnue dans le monde végétal. Connaissant la manière dont ces messieurs ont nommé les sites de la péninsule de Sicié, nous pouvons aisément en déduire une interprétation fantaisiste de Fabrégas.
Fabrègo est, en Provençal, aussi bien une forge que le basilic, or mis à part le sable noir de la plage rien ne laisse vraiment envisager l’établissement et l’utilité d’une forge en ce lieu, même si nous pouvons imaginer que des bateaux soient venus y faire escale après un franchissement problématique du cap Sicié. Quant au basilic, même s’il ferait peut être plaisir à Daniel dont le restaurant emblématique s’étale au tréfonds de la baie, il est relativement difficile d’imaginer une culture si proche du bord de mer. Et ce malgré « l’embouchure » du famélique vallat, enfin libéré de son trajet souterrain.
Par contre si Fabrègue est une dénomination du micocoulier, un arbre que l’on retrouve sur le bord des routes où il offrait une ombre salutaire aux charretiers et au moteur animal de leur véhicule, ça désignait également toutes ces herbes des collines qui savent si bien se rendre utiles au cours des soirées d’été en venant exhaler leur fumées sous une grillade tout en éloignant les insectes indésirables.
Une petite jetée permet l’accostage du pneumatique des pompiers et l’embarquement des plongeurs du club tout proche (l’hippocampe) tout en laissant la place à quelques rares bénéficiaires des anneaux libres.
Le Baou Rouge, ce promontoire de grès cramoisi qui clôture le Sud de la plage, est un paradis pour les genets et les messugues. Avec les teintes des lilas d’Espagne, ils se relaient pour offrir une palette chamarrée dès le printemps venu. Des constructions de moins en moins isolées approprient cet espace que couronne la batterie du même nom.
La mer vient jouer parmi les blocs de rochers tandis que les oursins et les poissons de roche tentent de se dissimuler des chasseurs sous marins néophytes qui l’été durant arpentent cette portion de la côte.
Durant les torrides ensoleillements de juillet et d’août, cette partie du rivage, plus rapidement à l’ombre reçoit, l’après-midi, les « visages pales » et les « peaux rouges », désireux de préserver leur épiderme.
La pointe du Baou Rouge, pour sa part accueille, selon les heures, les pêcheurs à la ligne et les apprentis chasseurs sous-marins le matin, quelques couples en
mal d’intimité l’après midi et une faune masculine interlope en fin de journée.
Dans l’espace marin de cette baie, dès l’été arrivé, fleurissent une myriade de mouillages plus ou moins sauvages. Ils affleurent la surface de leurs bouées multicolores et viennent rivaliser avec les balises de matérialisation du chenal maritime et des zones réservées à la baignade pour donner à cette partie Nord de la baie l’apparence d’une kermesse flamande.
Si on ajoute au tableau, les soirs de mistralades, l’abri forain de quelques voiliers qui en plus de la mer étale bénéficient des arômes envoûtants de la cuisine méditerranéenne du restaurant du Rivage, et vous aurez une petite idée de ce que peut procurer une visite de notre patrimoine.
Serge MALCOR